45 minutes de « sentimentalisme » sécuritaire au conseil municipal du 4 février

[ Tribune ]

Le conseil municipal du 4 février 2021 a consacré le premier point de son ordre du jour à la politique de sécurité de la ville. Pendant vingt cinq minutes, l’adjoint au maire, M. le général de gendarmerie François Daoust, a proposé un bilan des six derniers mois et des perspectives pour l’année 2021 en matière de politique municipale de sécurité.
Nous ne comprenons pas comment les élu.e.s du conseil ont pu se satisfaire d’un propos aussi curieusement décousu et hors-sol sans chercher à obtenir quelques simples clarifications que l’élu municipal, expert chevronné et reconnu sur ces sujets, avait vocation à leur fournir ainsi qu’à leurs mandants.

L’élu a d’abord évoqué, pêle-mêle et sans aucune précision particulière, les nuisances dues à la consommation d’alcool, aux jets de déchets sur la voie publique et au tapage nocturne, puis les infractions au code de la route, la mendicité agressive, la délinquance des mineurs non-accompagnés, et enfin, plus accessoirement, les violences conjugales et l’arrestation d’un violeur.
De ce catalogue vague, fait d’impressions et d’anecdotes, assorti ici d’un peu de terminologie savante, et là de quelques chiffres livrés sans aucun lien compréhensible avec tel ou tel ensemble de faits, l’élu tire le constat général qu’il y a « besoin d’un renforcement de sécurité » Et ce, en dépit du fait que les délits recensés sont en net recul en 2020 par rapport à 2019.
D’où, l’annonce d’une organisation modifiée, d’embauches, d’équipements nouveaux pour les services de police municipale et de la création d’un « Conseil local de la sécurité et de la prévention de la délinquance » (CLSPD) appelé à travailler en lien avec la « chaîne pénale », les bailleurs et les associations. Quelles associations ? Pour quoi faire ? Mystère qui ne préoccupe guère l’assemblée où, il est vrai, on est souvent déjà très occupé à consulter son portable.

M. Daoust entretiendra en permanence la confusion entre ce qui relève des faits et ce qui procède du ressenti ou de ce fameux « sentiment d’insécurité ». Bref, le brouillage habituel que s’empressera de justifier M. Seimbille en affirmant que ce sentiment « pèse autant que la réelle insécurité ». Personne ne le contredira.

Dans ces conditions, on comprend qu’il s’agit alors d’investir dans la « présence » policière valant d’abord comme communication municipale pour répondre au « sentiment ». Le projet de renforcement de la vidéo-surveillance résume assez bien le problème : dans une sorte d’aveu, M. Daoust explique qu’en présence de caméras, « il y a déport de la délinquance », en d’autres termes, la délinquance va ailleurs. Est-on bien certain que l’on tient là l’outil préventif-dissuasif espéré ? Voilà qui est peu susceptible de lever des réserves déjà anciennes sur l’efficacité de la vidéo-surveillance (notamment au regard de ses coûts). Mais quoi qu’il arrive, on aura visiblement agi pour la ville…

Quand le réel « ne pèse » plus rien : insécurité en temps de Covid et violences conjugales.

En référence au bilan de 2020 M. le général Daoust s’en est tenu à signaler une année atypique, durant laquelle le nombre des délits fut en recul, sans doute du fait de la crise sanitaire. Mais l’élu-expert n’a strictement rien dit de l’une des tendances majeures liée à la crise sanitaire et partout reconnue : l’augmentation dramatique des violences conjugales1, pourtant souvent évoquée dans le débat public vu son ampleur et prise activement en compte par nombre d’autres mairies et services de police municipale.
Le problème des violences conjugales n’existe-t-il pas à Pontoise ? Si l’on parle d’écoute des habitant.es, de travail deproximité (qu’il s’agit même de favoriser par l’usage du vélo) sensible au contexte, n’y a-t-il pas là une question précise, bien «réelle », justifiant une sensibilisation particulière ? Le général Daoust a-t-il réussi l’exploit de sillonner la ville jour et nuit des mois durant en pleine crise sans s’entretenir avec les gens ?
Et sur quelle lune de Saturne vivent les élu.es présent.es pour ne pas le questionner sur le sujet ?

D’autres mairies, d’autres services municipaux pourtant non dirigés par des Penseurs des sciences de la sécurité, écoutent, réagissent. Par exemple :
A Bédarieux (34),

La police municipale attentive aux violences conjugales. […]
Depuis plusieurs mois, la Police municipale constate différents cas de violences conjugales. Pour mieux répondre à ce problème, deux agents ont suivi une formation sur les violences intrafamiliales.
Bruno Acquié, chef de la Police Municipale nous explique :  « 
Le but est de former tous les agents de police de la ville au traitement des cas de violences intrafamiliale. Nous souhaitons aussi réinstaurer un dialogue avec les habitants pour créer du lien et permettre de faire plus de prévention à ce sujet. J’ai souhaité que les agents soient formés pour accueillir les victimes dans de bonnes conditions » […]
Depuis janvier, la police est intervenue sur une dizaine de cas de violence intrafamiliale. Pour faire face à ce problème, 
les agents sont en lien avec des associations, des assistantes sociales, des médecins, l’agence départementale, pour apporter des solutions et un suivi pour les victimes.
Pendant le confinement, la Police municipale a travaillé avec les pharmacies de la ville, lieux de refuges pour les victimes. Bédarieux est la première ville de l’Hérault où ce dispositif a fonctionné et permis à une victime d’être rapidement prise en charge.

https://www.bedarieux.fr/Actualites/LA-POLICE-MUNICIPALE-ATTENTIVE-AUX-VIOLENCES-CONJUGALES/1/4405.html

Mais on pourrait aussi bien s’intéresser aux dispositifs spécifiques créés (dépôts de plainte simplifiés, sensibilisation et formation des agents, …) à Avon (77)2, à Chambourcy (78)3, à Nogent-sur-Marne (94) ou « chaque brigade de la police municipale compte au moins une femme dans ses effectifs, formée et préparée à ce type de délit. Une brigadière est leur référente et assure un suivi, dans le cadre des missions de proximité de la police municipale. »4 etc.
Comme ces initiatives l’illustrent concrètement, il ne suffit pas de parler de proximité, d’écoute, de « sentiment » aussi important qu’un réel qu’en vérité on perd de vue : il ne suffit pas de se flatter de ce que le recours au bracelet électronique dans l’éloignement des conjoints violents ait été inauguré au tribunal de Pontoise. 
Aux « sentiments » et besoins de qui la ville de Pontoise s’intéresse-t-elle aujourd’hui ? À l’écoute de qui est-elle ? N’est-on pas en train de se laisser accaparer par la bonne vieille peur des gueux, des « âmes perdues », des « sans familles » du 21e siècle, troublant la tranquillité des « honnêtes gens » ? On s’en inquiète un peu dès lors que pour M. le général (et une partie de l’assemblée au moins), il semble plus urgent de déplorer l’impossibilité faite à la justice de réprimer plus durement la délinquance juvénile de mineur.e.s déjà à l’abandon (« non-accompagné.e.s »), cette « marée montante » (sic)5 que de répondre aux urgences liées à l’épidémie.

Malheureusement, selon l’élu, « la justice est prisonnière des textes. Ce qu’on oublie souvent quand on n’a pas une réponse pénale beaucoup plus ferme. » L’ordonnance de 1945 porteuse d’une justice spécifique pour l’enfance délinquante, serait le texte intouchable, et au cas où les choses seraient insuffisamment claires : « la réponse pénale vis à vis des certains mineurs n’apparaît pas à la hauteur des faits générés ». 
M. Daoust oublie que le texte réputé tenir la justice « prisonnière » a « déjà été remanié une quarantaine de fois »6 depuis sa parution. Il néglige de mentionner, en outre, qu’en mars prochain, l’ordonnance de 1945 sera abrogée et remplacée par l’ordonnance n°2019-950 du 11 septembre 2019 portant sur le code de la justice pénale des mineurs. Nombre de professionnels et responsables de la protection de la jeunesse ont d’ores et déjà dénoncé ce projet sur la forme comme sur le fond.7 Prétendre que l’ordonnance de 45 serait un texte immuable, tenant la justice « prisonnière » (de quoi ? de qui ?), est donc inexact.

Un dernier indice du caractère approximatif et hors-sol du bilan-perspective de la mairie doit être relevé. Cette présentation se trouve coïncider avec le lancement du « Beauvau de la sécurité » convoqué par le chef de l’État pour tenter de répondre à la grave crise de confiance de toute une partie de la population de ce pays vis-à-vis de sa police. Là encore, une autre donnée importante et nouvelle de la situation a disparu : 27 % de la population « éprouvent inquiétude ou hostilité vis-à-vis de la police »8.
Ce « sentiment d’insécurité »-là intéresse-t-il M. Daoust, M. Seimbille ou « l’opposition » ? Lorsque M. Daoust parle de comportements plus agressifs lors de contrôles, ne songe-t-il pas à faire le lien avec les événements et constats généraux qui ont contraint le président de la république à réunir ce « Beauvau » ? Les caméras-piéton prévues pour les agents ont-elle vocation à ne protéger que les policiers face à des habitants rétifs, voire, dangereux ?

Bref, on ne voit pas bien comment des projets relatifs à l’action de la police municipale (en lien à avec la police nationale et dans le cadre d’un CLSPD) peuvent être sérieusement envisagés dans « l’oubli » du contexte aussi bien sanitaire que législatif (« sécurité globale », « justice pénale des mineurs »), ou politique (« Beauvau »), et de débat public sur les rapports police-population notoirement en crise. Et en l’absence de toute opposition sérieuse, voire, de simples et loyales demandes d’éclaircissements, on ne voit pas comment le problème pourrait se régler.

Notes :

  1. On pourrait également parler de l’augmentation des cas de harcèlement en ligne. Quelle proximité ? Quelle écoute ?
  2. https://www.facebook.com/VilleAvon/posts/1480487198821184
  3. https://police-chambourcy.fr/victimes-de-violences-conjugales/
  4. https://ville-nogentsurmarne.com/3919-violences-femmes-info-ecoute-information-orientation/
  5. Métaphore très malheureuse, en référence à l’accroissement du nombre de ces enfants dans le département du Val d’Oise ces dernières années.
  6. Comme le rappelait déjà le journal La Croix, en 2008 : https://www.la-croix.com/Actualite/France/Ordonnance-du-2-fevrier-1945-relative-a-l-enfance-delinquante-_NG_-2008-11-27-680763 (39 remaniements)
  7. https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/tribune-reforme-de-la-justice-des-mineurs-toujours-plus-de-repression-et-toujours-moins-deducation-denoncent-200-personnalites-liees-a-la-protection-de-la-jeunesse_4201793.html
  8. https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/beauvaude-la-securite-27-des-francais-eprouvent-inquietude-ou-hostilite-vis-a-vis-de-lapolice_4289929.html