
Expression
PAGV offre ses colonnes à un texte d’un de ses camarades traitant de l’appropriation du personnage de Jeanne d’Arc par l’extrême droite.
PAGV sera toujours en première ligne pour s’opposer sur tous les terrains au RN et à ses cousins germains, telle la députée Sicard, dont nous n’oublions pas qu’elle doit sa place à la macroniste Emilie Chandler et à de nombreux.euses élu.es de droite dont plusieurs Pontoisien.nes.
[par Raphaël Carbonne, docteur en histoire médiévale]
Le 1er mai dernier, Anne Sicard, députée d’extrême-droite de notre circonscription, s’est rendue au rassemblement organisé à Domrémy par son parti Identité Libertés, en présence de Marion Maréchal.
Le but ? Honorer la mémoire de la femme la plus célèbre du XVe siècle français, celle que le poète François Villon appelait la Bonne Lorraine, j’ai nommé « Sainte » Jeanne d’Arc.
La réécriture de l’Histoire est devenue une pratique coutumière de l’extrême-droite. La longue liste de leurs meneurs condamnés pour négationnisme en est le témoin. S’il s’agit surtout pour eux de tenter de se dissocier du régime nazi et des groupes collaborationnistes dont ils sont
les héritiers, il leur arrive de temps à autre de s’en prendre au Moyen Âge, avec toujours la même malhonnêteté intellectuelle. Jeanne d’Arc est assurément leur plus prestigieuse prise de guerre. Et pourtant…
Pendant des siècles, celle que l’on a appelée « La Pucelle » a été oubliée des livres d’histoire. Tout au plus, Voltaire se le rappela pour l’insulter au travers de l’un de ses écrits les plus médiocres. C’est au XIXème siècle avec Philippe-Alexandre le Brun de Charmettes et Jules Michelet qu’elle commença à revenir au cœur des débats historiographiques, mais surtout grâce aux travaux de Jules Quicherat qui sans relâche travailla à l’édition des sources la concernant : chroniques, pièces de procès, lettres…
Dès lors, les partis politiques tentèrent de se l’approprier. Un premier consensus se fit autour d’une icône républicaine résistant aux forces étrangères, une unificatrice de la Nation dans une France qui venait de subir le revers de la guerre de 1870. Pour la gauche, elle était la petite fille du peuple brûlée par l’Eglise et abandonnée par la Monarchie. Pour la droite, elle était une héroïne chrétienne.
Depuis septembre 1982, elle est au cœur d’une offensive idéologique menée par les mythologues du Front National, devenu depuis Rassemblement National. Jean-Marie Le Pen, père de Marine le Pen et grand-père de Marion Maréchal, présente la Pucelle comme son personnage historique préféré et souhaite participer à son « culte ». A partir de 1988, le FN organisa chaque 1er Mai à Paris un rassemblement Place des Pyramides où une statue à sa gloire fut érigée en 1874.
Ils ne furent pas les premiers à organiser de telles célébrations, s’inscrivant dans une longue tradition de l’extrême-droite française dans laquelle s’inscrivirent aussi l’Union Nationale et l’Action Française. Pétain tenta de récupérer la Pucelle pour en faire la figure fédératrice des mouvements de jeunesse pendant l’Occupation, non pas pour défendre la patrie de l’envahisseur nazi, mais bien dans une perspective d’union des forces fascistes. La tartufferie mémorielle atteignit son sommet lorsque Brigitte Bardot déclara voir en Marine le Pen la nouvelle Jeanne d’Arc (1).
Et pourtant, il n’est pire mensonge fait à la mémoire de Jeanne d’Arc que de la transformer en icône de l’extrême-droite.
Revenons d’abord sur sa « sainteté ». J’emploie des parenthèses, car il y aurait beaucoup à dire sur sa canonisation, qui s’est opérée tardivement. Béatifiée le 11 avril 1909, elle n’est canonisée que le 16 mai 1920. Pourquoi soudainement l’Eglise s’intéressa-t-elle à Jeanne d’Arc ? A cause de la Première Guerre mondiale. Au début du conflit, le Saint-Siège n’était pas en odeur de sainteté avec la IIIème République. Le pape Pie X alla jusqu’à la qualifier de « persécutrice de l’Eglise », ne digérant toujours pas la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Tout changea avec la Grande Guerre. Difficile de s’en prendre à un pays vainqueur, d’autant plus avec le culte grandissant autour de Bernadette Soubirous. Certains soldats prétendent même avoir vu le fantôme de la Pucelle sur les champs de bataille les inspirer pour combattre. La Papauté n’avait d’autre choix que de brosser la France dans le sens du poil, amenant la canonisation de Jeanne d’Arc qui devient même la seconde sainte patronne de la France après la Vierge elle-même.
Petit détail qui a son importance ici : pour être canonisé, il faut qu’un miracle soit authentifié du vivant du « saint ». Il aurait donc fallu près de cinq siècles après le procès de réhabilitation pour que l’Eglise revienne définitivement sur la haine qu’elle voua à celle qu’elle condamna à mort pour des raisons politiques… Les qualificatifs manquent pour définir une telle médiocrité.
Par ailleurs, « Sainte » Jeanne d’Arc est honorée par l’Eglise catholique le 30 mai, date de son exécution. Le choix du 1er mai par les groupes d’extrême-droite est avant tout une insulte faite au mouvement international des travailleuses et travailleurs qu’elle cherche à invisibiliser.
L’extrême-droite a beau se présenter depuis quelques années comme le parti des classes populaires laborieuses, il n’en est rien. Ni avant, ni maintenant, ni jamais.
Quant à Jeanne, sa vie montre à quel point elle n’est pas une figure de droite, et encore moins d’extrême-droite. Elle ne correspond à aucun de leurs combats.
Elle ne partage pas la vision traditionaliste de la société de l’extrême droite. Elle défie les codes de son temps, prenant les armes, affrontant les pires menaces qui peuvent être faites à une femme pour porter ses convictions, y compris de la part de ceux qu’elle veut aider. N’oublions pas qu’alors qu’elle rencontrait pour la première fois Robert de Baudricourt afin d’obtenir son aide pour rencontrer Charles VII, celui-ci la menaça de la faire violer par ses hommes. Son propre père demanda à ses fils de noyer leur sœur si jamais elle devenait une « fille à soldats ». Lors de sa captivité, les Anglais n’ont cessé de la menacer de viol. Belle ambiance. Et pourtant, jamais elle n’a flanché face à leurs menaces. Son seul moment de faiblesse, ce fut à la vue du bûcher où elle accepta d’avouer les « crimes » dont l’accusait le tribunal ecclésiastique, de peur de ne pouvoir être présente lors du Jugement dernier. Et malgré cela, cette même Eglise la piégea en la forçant à prendre des vêtements d’hommes, la déclarant ainsi relapse et la condamnant enfin au bûcher. Ses persécuteurs ne voulaient pas la vaincre, ils voulaient la détruire, l’annihiler, ne supportant pas l’existence d’une femme non procréatrice se tenant debout et portant fièrement ses convictions.
Jeanne d’Arc n’est jamais dans la stigmatisation. La droite aime voir en elle celle qui s’opposa à « l’envahisseur étranger ». C’est là un raccourci simpliste. Elle n’a aucune haine contre les Anglais. Ses lettres en témoignent. Elle souhaite libérer le territoire pour mettre sur le trône son «bon Roi», mais jamais elle ne tombe dans la dépréciation propagandiste de son adversaire. Avant chaque combat, notamment à Orléans, elle propose aux Anglais de partir de leur plein gré sans qu’aucun dommage ne leur soit fait, ce à quoi ils ne répondirent que par des flots d’injures. La violence n’est que l’ultime recours, une violence pour laquelle elle n’a aucun goût. A la cour du roi, elle réussit à trouver un terrain d’entente pour que tous les partis en présence s’unissent sans faire prévaloir qui que ce soit. Même durant son procès, elle sait se montrer pleine d’esprit et de courage, sans jamais chercher à montrer la supériorité d’un groupe sur un autre. Tout au plus se moque-t-elle des juges ecclésiastiques quand ils lui demandent si elle croit en Dieu et qu’elle leur elle répond « Oui, mieux que vous. ». C’est toute la beauté du personnage, jamais dans la haine de l’autre, seulement portée par ses convictions et son souhait de voir les terres où elle vit débarrassées des affres de la guerre et de la haine.
La vraie icône de la droite dans cette affaire, ce n’est pas cette femme libérée des carcans de son temps. C’est un évêque : Pierre Cauchon. Celui qui dirigea le procès à son égard, persécutant une femme pour oser exister. Celui qui était payé par un acteur étranger pour faire disparaître un symbole vivant pour tout un peuple en lutte contre un envahisseur. Cauchon la haïssait profondément car elle était son anti-modèle. Il la menaça d’être abandonnée par l’Eglise « comme une Sarrasine » si elle refusait de se soumettre, ajoutant une couche de racisme dans sa haine. Il fit écarter tous les juges qui osaient avoir un doute sur sa culpabilité pour être certain d’arriver à ses fins. Il la fit brûler pour avoir osé porter des vêtements d’hommes. Il fulminait à l’idée qu’elle refuse de reconnaître l’autorité de l’Eglise militante et donc de se soumettre aux imprécations de ces vieux messieurs déconnectés de la vie réelle du peuple, cachés dans leurs palais dorés et vivant aux crochets des autres. L’icône des Sicard, Zemmour, de Villiers et autres le Pen, c’est bien ce genre d’individu autoritaire, patriarcal, soumettant un peuple en s’en prenant aux plus précaires pour défendre les intérêts d’une caste et une seule : la leur.
S’il ne s’agit pas de faire de Jeanne d’Arc une icône de la gauche, il est certain qu’elle n’a absolument rien à faire à droite et encore moins à l’extrême-droite. Elle n’est à personne, si ce n’est à ceux qui luttent pour un monde débarrassé de toute forme de violence et de haine. Elle est une résistante, une intrépide luttant contre l’oppression sous toutes ses formes. Jeanne est, à sa façon, antifasciste.
Rappelez-vous de vous méfier des réappropriations de l’Histoire par l’extrême-droite. Si vous aimez Jeanne d’Arc, lisez et écoutez les travaux des intellectuels pour mieux la connaître. Avec Pacôme Thiellement, nous avons produit l’an dernier une vidéo sur ce sujet (2), mais nous sommes loin d’être les seuls : Valérie Toureille, Collette Beaune, Régine Pernoud, Olivier Bouzy, Claude Gauvard… La force de tous ces travaux est de se baser sur les sources, et non pas sur une vision fantasmée et intégrée de force dans le carcan de luttes étrangères à la Pucelle.
Je terminerai cet écrit en citant l’une des plus grandes penseuses de notre temps.
Il y a dans l’histoire peu de choses parfaitement pures. La plupart concernent des êtres dont le nom a disparu, comme les habitants de Béziers au début du XIIIe siècle. Si l’on cherche des noms qui évoquent de la pureté, on en trouverait peu. Dans l’histoire de France, trouverait-on un autre nom que Jeanne d’Arc ? Ce n’est pas sûr.
Simone Weil, L’Enracinement.
(1) Brigitte Bardot, l’interview intégrale. 19/08/2014. https://www.parismatch.com/People/Brigitte-Bardot-se-confie-a-Match-582022
(2) Pacôme THIELLEMENT, Jeanne la gauchiste. L’empire n’a jamais pris fin, saison 1, épisode 7. Blast, le souffle de l’info, mis en ligne le 06/07/2024, Youtube, https://www.youtube.com/watch?v=3qLSAV_QIaU&t=2s