Le jeu de la (contre) vérité

Si (selon des termes validés par la municipalité de Pontoise et gravés sur la pelle Starck, ce mobilier urbain installé sur la place de la gare en 2002) le général Charles Victoire Emmanuel Leclerc s’est remarquablement acquitté de sa tâche qui ne consistait qu’à pacifier Saint-Domingue, alors il doit être possible de poursuivre dans la même veine la réécriture de l’Histoire :

  • Adolphe Thiers a apporté une éminente contribution à la réduction de la pauvreté à Paris en éliminant les pauvres à la faveur de la fort mal nommée semaine sanglante de juin 1871. Il conviendrait à cet égard d’ajouter cette précision aux plaques de la rue qui lui est dédiée à Pontoise.
  • Le procès de Galilée a établi de façon éclatante que le Soleil tournait autour de la Terre, qui constitue le centre de l’univers, créé en seulement sept jours.
  • Le général Bigeard, à travers la fameuse pratique qui porte son nom (les crevettes Bigeard) a tenté, hélas en vain, de faire progresser les populations algériennes dans la maîtrise de la natation. Il n’a guère eu plus de succès pour leur faire acquérir les bases du parachutisme, les célèbres corvées de bois n’ayant eu que peu de résultats probants. Il n’est pas pour autant nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. 
  • Ainsi que l’atteste le portail du camp d’Auschwitz, le travail rend libre, et les déportés n’auraient pas dû à ce point bouder leur bonheur.

Nous vivons une époque formidable, celle de la vérité alternative chère au cœur de Donald Trump. On peut affirmer tout et son contraire sans autre conséquence que le risque assez limité du ridicule. Et pousser l’absurde à son comble : selon un sinistre histrion médiatique, « Pétain a sauvé les juifs ».

Trêve de plaisanterie…

La ville de Pontoise a hérité de la statue du général Leclerc en 1869, d’ailleurs sans grand enthousiasme du maire de l’époque, Pierre-Ernest Seré-Depoin (1), au vu de la réputation déjà sulfureuse du personnage. Elle est inscrite depuis longtemps dans le paysage de la ville. Peu d’habitants avaient jusqu’à présent connaissance des exploits de ce triste sire, dont la statue bénéficiait d’une confortable indifférence. 

C’est nettement moins le cas, depuis que la pelle Starck mise en place en 2002 bafoue de façon révoltante la vérité historique. Rappelons au passage que Bonaparte, pendant son exil à Sainte-Hélène, disait regretter s’être engagé dans cette lamentable expédition.

Errare humanum est, perseverare diabolicum

La mairie de Pontoise oppose une fin de non-recevoir et applique la politique de la sourde-oreille face aux demandes déjà anciennes (2) et plus récentes (3) de rétablir la vérité des faits.

Et l’on apprend, à l’occasion d’un article de la Gazette du Val d’Oise du 11 février qu’elle s’apprête à porter plainte contre l’action qui a consisté à accrocher un panneau interrogatif en carton autour du cou de la statue, recouvrir d’une boîte en carton agrémentée d’une affiche la pelle Starck de la gare, et disposer quelques piques à brochette soutenant des QR codes renvoyant à des articles sur le sujet, dans les vasques qui entourent la statue. 

Aucune dégradation, donc, de ce patrimoine hautement contestable.

La provocation n’est pas de notre fait : c’est ce texte fallacieux place de la gare qui porte atteinte à l’honneur et au prestige de Pontoise, contrevenant par surcroît à la loi sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’Humanité.

Au lieu d’organiser le débat sur la question et d’apaiser les choses en faisant prévaloir la raison, cette menace de plainte montre un entêtement dans l’erreur assez consternant.

Que cherche la mairie en menaçant de la sorte ? Médiatiser l’affaire au risque de son honneur ? Valider la notion de crime de lèse-général ?

Nul doute que porter l’affaire devant la Justice mettrait Pontoise sous les projecteurs, et pas sous son meilleur profil, alertant bien au delà de nos remparts tous ceux que le sujet indigne.

Galilée, face à la menace de condamnation, a dû rétracter son point de vue. Et pourtant, la Terre a bel et bien continué de tourner.

On voit mal la Justice, aujourd’hui, valider une falsification aussi grossière de la vérité. Et donner raison à une mairie qui, de facto, rend hommage sans vergogne et au prix d’un mensonge à un défenseur du système esclavagiste.


  1. Voir l’article de JC Lescure : https://blogs.mediapart.fr/jclescure/blog/250620/pontoise-un-cartel-negationniste-pour-l-homme-qui-retablit-l-esclavage-haiti
  2. Voir notre tribune de 2008 : http://pontoise.agauchevraiment.org/pontoise-ville-dart-et-dhistoire-frappee-damnesie/
  3. Voir notre lettre à la maire de Pontoise : http://pontoise.agauchevraiment.org/une-histoire-de-symbole/


2 Comments

  1. Merci pour l’excellent mauvais goût dans les réécritures de l’histoire. Ça donne envie d’en rédiger d’autres ! Vous pourriez lancer un concours ?
    J’ai aussi appris ce qu’est une pelle Stark.
    Très instructif pour moi, donc.
    J’espère que vous serez entendus.

  2. Depuis 2001, la loi qualifie l’esclavage de crime contre l’humanité. Présenter son rétablissement comme une opération de pacification tombe selon moi sous le coup des lois qui répriment « l’apologie de crimes contre l’humanité ». Dieudonné a été condamné pour ça. Avoir le mauvais goût de vouloir poursuivre en justice la pose d’un carton pour cacher cette infamie mérite peut-être un retour d’ascenseur.

Les commentaires sont fermés.